11 déc. 2008

Le mensonge que nous aimons (l'article complet)

Les messages blogs du 31 octobre 2008 et du 5 novembre 2008 concernent tous les deux un article par E.J. Graff intitulé The Lie We Love. À ce moment, la version complète n'était accessible que pour les clients du Foreign Policy.

La version complète de cet article étant maintenant disponible à www.foreignpolicy.com , en voici la traduction (non officielle comme toujours).

Le mensonge que nous aimons

L'adoption à l'étranger semble être la parfaite solution à un déséquilibre navrant: les pays pauvres ont des bébés qui ont besoin de foyers, et les pays riches ont des foyers qui ont besoin des bébés. Malheureusement, ces petits rayons de soleil rendus orphelins pourraient ne pas être orphelins du tout.

Web Extra: Pour un diaporama du commerce mondial des bébés, visitez le site: ForeignPolicy.com/extras/adoption.

Nous connaissons tous l'histoire de l'adoption internationale: des millions de nourrissons et de tout-petits ont été abandonnés ou sont rendus orphelins - placés au bord d'une route ou devant la porte d'une église, devenus orphelins à cause du sida, du dénuement ou de la guerre. Ces petits se retrouvent oubliés,
vivant entassés dans des orphelinats ou finissant dans les rues, faisant face à un avenir incertain de misère et de négligence. Mais s'ils sont chanceux, des adorables nouveaux papas et mamans des terres lointaines viennent les prendre pour une chance dans une vie meilleure.

Malheureusement, cette histoire est largement une fiction.

On a vendu aux Occidentaux le mythe de la crise mondiale des orphelins. Nous nous faisons dire que des millions d'enfants sont en attente de leurs "familles permanentes" pour les sauver d'une vie d'abandon et d'abus. Mais un grand nombre de nourrissons et de tout-petits qui sont adoptés aujourd'hui par les parents occidentaux ne sont pas du tout orphelins. Oui, des centaines de milliers d'enfants dans le monde entier ont besoin de foyers aimants. Mais le plus souvent, les enfants les plus démunis sont malades, handicapés, traumatisés ou âgés de plus de 5 ans.
Ils ne sont pas les bébés en bonne santé que les Occidentaux espèrent adopter, ce qui est tout à fait compréhensible. Il n'y a tout simplement pas assez de nourrissons adoptables en bonne santé pour répondre à la demande occidentale, il y a trop d'argent de l'ouest en quête d'enfants. En conséquence, beaucoup d'agences d'adoption internationale travaillent, non pour trouver des foyers pour des enfants nécessiteux, mais pour trouver des enfants pour les foyers de l'ouest.

Depuis le milieu des années 1990, le nombre d'adoptions internationales a presque doublé chaque année, passant de 22 200 en 1995 à un peu moins de 40 000 en 2006. À son apogée en 2004, plus de 45 000 enfants des pays en développement ont été adoptés par des étrangers. Les Américains adoptent ces enfants plus que toute autre nationalité, plus de la moitié du total au cours des dernières années.

D'où ces bébés proviennent-ils? Comme les adoptions internationales ont prospéré, de même les preuves que les bébés dans de nombreux pays sont systématiquement achetés, contraints, et enlevés de leurs familles de naissance. Près de la moitié des 40 pays répertoriés par le Département d'état des États-Unis comme étant en tête de sources pour les adoptions internationales au cours des 15 dernières années, tels que la Biélorussie, le Brésil, l’Éthiopie, le Honduras, le Pérou, et la Roumanie - ont mis fin à l'adoption au moins temporairement ou ont été empêchés d'envoyer les enfants aux États-Unis en raison de graves préoccupations au sujet de corruptions et d’enlèvements. Et pourtant, quand un pays est fermé en raison de la corruption, de nombreuses agences d'adoption transfèrent simplement les espoirs de leurs clients au prochain pays populaire. Ce pays expérimente une brusque augmentation d’adoptions étrangères de nourrissons et de tout-petits jusqu'à ce qu'il soit lui aussi forcé de fermer ses portes.

En cours de route, l'industrie de l'adoption internationale est devenue un marché souvent dirigé par ses clients. Les potentiels parents adoptifs des États-Unis vont payer les agences d'adoption entre 15 000$ et 35 000$ (excluant les coûts du voyage, du visa et de divers autres frais) pour la chance de ramener un petit à la maison. Les enfants plus âgés ou aux besoins spéciaux peuvent être adoptés à rabais. Les agences prétendent que les coûts paient les frais d'agence, le coût des opérations et des salaires à l'étranger, le personnel du voyage, et les dons versés aux orphelinats. Mais les experts disent que les frais sont si disproportionnés pour le pays d'origine de l'enfant qu’ils encouragent la corruption.

Pour compliquer les choses davantage, alors que l'adoption internationale est devenue une industrie dirigée par l'argent, elle est également chargée de fortes émotions. Beaucoup d'agences d'adoption et de parents adoptifs insistent avec passion sur le fait que les pratiques malhonnêtes ne sont pas systématiques, mais des cas tragiques et isolés. Arrêtez les méchants, disent-ils, mais laissez les "bonnes" adoptions continuer. Toutefois, supprimez l'argent comptant de la chaîne de l'adoption, et en dehors de la Chine, le nombre de bébés en bonne santé nécessitant les foyers de l'Ouest disparaît. Nigel Cantwell, un consultant basé à Genève pour la protection d'enfants, a vu la dangereuse influence de l'argent sur les adoptions en Europe de l'est et en Asie centrale où il a contribué à réformer des systèmes d'adoption corrompus. Dans ces régions, des enfants en bonne santé âgés de 3 ans et moins peuvent facilement être adoptés dans leur propre pays, dit-il. Je lui ai demandé combien de bébés en bonne santé dans ces régions seraient disponibles pour l'adoption internationale si l'argent ne changeait pas de mains. "Je hasarderais à dire zéro", a-t-il répondu.

LE MYTHE DE L'APPROVISIONNEMENT

L'adoption internationale n'a pas toujours été une industrie déterminée par l’offre et la demande. Il y a un demi-siècle, c'était avant tout un effort humanitaire pour les enfants devenus orphelins par la guerre. En 1955, les nouvelles ont répandu que Bertha et Harry Holt, un couple évangélique de l'Oregon, avaient adopté huit orphelins de guerre coréens et les familles à travers les États-Unis ont exprimé leur intérêt à suivre leur exemple. Depuis lors, l'adoption internationale est devenue de plus en plus populaire en Australie, au Canada, en Europe, et aux États-Unis. Les Américains ont adopté plus de 20 000 enfants étrangers dans la seule année 2006, contre 8987 seulement en 1995. Une demi-douzaine de pays européens ramènent régulièrement plus d'enfants d'origine étrangère par habitant que les États-Unis. Aujourd'hui, le Canada, la France, l'Italie, l'Espagne et les États-Unis comptent pour 4 sur 5 adoptions internationales.

Les changements dans la démographie occidentale expliquent en grande partie cette croissance. Grâce à la contraception, l'avortement, les mariages retardés, le nombre de naissances non planifiées dans la plupart des pays développés a diminué ces dernières décennies. Certaines femmes qui ont attendu pour avoir des enfants découvrent qu'ils ont dépassé leur stade de fertilité; d'autres ont de la difficulté à concevoir dès le début. D'autres adoptent encore pour des raisons religieuses, en expliquant qu'ils ont été appelés à s'occuper des enfants dans le besoin. Aux États-Unis, un motif au-delà de la démographie est la notion que l'adoption internationale est d'une manière plus "sécuritaire" - plus prévisible et plus susceptible de terminer par un succès - que beaucoup d'adoptions nationales qui comportent le risque que la mère de naissance change d'avis à la dernière minute. En ajoutant un océan de distance et l'idée que les enfants nécessiteux abondent dans les pays pauvres, et ce risque semble disparaître.

Mais les adoptions internationales ne sont pas moins risquées, elles sont tout simplement moins réglementées. Tout comme les entreprises externalisent l'industrie vers les pays avec des lois de travail laxistes et de bas salaires, les adoptions ont déménagé vers les pay avec peu de lois concernant le processus. Les parents de naissance pauvres et analphabètes dans les pays en développement ont tout simplement moins de protection que leurs homologues des États-Unis, en particulier dans les pays où la traite des êtres humains et la corruption sont endémiques. Et trop souvent, ces déséquilibres sont ignorés du côté des adoptants. Après tout, un pays après l'autre a continué à fournir ce que les parents adoptifs désirent le plus.

En réalité, il y a très peu d'orphelins, jeunes et en santé, disponibles pour l'adoption dans le monde entier. Les orphelins sont rarement des bébés en bonne santé; les bébés en santé sont rarement orphelins. "Ce n'est pas vrai, dit Alexandra Yuster, une conseillère principale de la protection des enfants avec l'UNICEF, qu'il y a un grand nombre d'enfants sans foyer ou qui seront en institution ou qui ont besoin de l'adoption internationale."

Cette affirmation va à l'encontre de l'histoire qui a longtemps été commercialisée aux Américains et aux autres Occidentaux qui ont été formés à penser, par les images de la misère dans les pays en développement et l'apparent flot sans fin des filles en provenance de la Chine, que des millions de bébés orphelins dans le monde ont désespérément besoin de foyers. L'UNICEF elle-même est en partie responsable de cette hypothèse erronée. Les statistiques de l'organisation sur les orphelins et les enfants placés en institution sont largement citées pour justifier la nécessité de l'adoption internationale. En 2006, l'UNICEF a transmis un nombre estimé à 132 millions d'orphelins en Afrique sub-saharienne, en Asie, en Amérique latine et les Caraïbes. Mais la définition de l'organisation du mot "orphelin" inclut les enfants qui ont perdu un seul parent, soit par la désertion, soit par le décès. Seulement 10 pour cent du total, 13 millions d'enfants, ont perdu leurs deux parents, et la plupart de ceux-ci vivent avec les familles élargies. Ils sont également plus âgés: selon la propre estimation de l'UNICEF, 95 pour cent des orphelins sont âgés de plus de 5 ans. En d'autres termes, les "millions d'orphelins" de l'UNICEF ne sont pas des bébés en bonne santé voués à la misère institutionnelle à moins que les occidentaux les adoptent et les sauvent. En revanche, la plupart sont des enfants vivant avec des familles élargies qui ont besoin de soutien financier.

L'exception est la Chine, où la politique de l'enfant unique vieille de trois décennies, maintenant relâchée, a créé un nombre sans précédent de filles disponibles pour l'adoption. Mais même ce flot de filles est fini; la Chine a plus d'étrangers espérant adopter un enfant qu'elle n'a orphelines à envoyer à l'étranger. En 2005, les parents étrangers ont adopté près de 14 500 enfants chinois. C'est beaucoup moins que le nombre d'occidentaux qui voulaient adopter; les agences d'adoption rapportent beaucoup plus de clients qui attendent en file. Et il est rendu plus difficile d'emmener ces enfants; en 2007, l'autorité centrale de l'adoption de la Chine a fortement réduit le nombre d'enfants envoyés à l'étranger, peut-être à cause de la croissance du déséquilibre ratio sexe, la baisse de la pauvreté, et les scandales impliquant le trafic d'enfants pour les adoptions à l'étranger. Les prospectifs parents étrangers sont aujourd'hui strictement jugés par leur âge, leur histoire conjugale, la taille de la famille, le revenu, la santé, et même le poids. Cela signifie que si vous êtes célibataire, gay, gros, vieux, moins riche, trop souvent divorcé, trop récemment marié, prenez des antidépresseurs, ou avez déjà quatre enfants, la Chine vous refusera. Même ceux qui ont une place dans la ligne d'attente se font dire qu'ils pourraient attendre trois à quatre ans avant de ramener un enfant. Cela a conduit de nombreux parents prospectifs à faire le tour du marché pour un pays qui met moins de barrières entre eux et leurs enfants, comme si tous les pays étaient la Chine mais avec moins des règlements pénibles.

L'un de ces pays a été le Guatemala qui, en 2006 et en 2007, a été le 2ième exportateur d'enfants vers les États-Unis. Entre 1997 et 2006, le nombre d'enfants guatémaltèques adoptés par des Américains a plus que quadruplé, à plus de 4500 par année. Incroyablement, en 2006, un enfant sur 110 nés au Guatemala ont été adoptés par les Américains. En 2007, près de 9 enfants adoptés sur 10 étaient âgés de moins d'un an; près de la moitié avaient moins de 6 mois. "Le Guatemala est un parfait exemple de la manière dont l'adoption internationale est devenue une demande axée sur les affaires", dit Kelley McCreery Bunkers, une ancienne consultante de l'UNICEF du Guatemala. Le processus d'adoption du pays était "une industrie conçue pour répondre aux besoins des familles adoptives dans les pays développés, en particulier les États-Unis."

Parce que la grande majorité des enfants du pays placés en institution ne sont pas des bébés adoptables en bonne santé, presqu'aucun n'a été adopté à l'étranger. À l'automne 2007, une enquête menée par le gouvernement du Guatemala, l'UNICEF et l'agence d'adoption et de protection d'enfance Holt International Children's Service, révèle environ 5 600 enfants et adolescents dans les institutions guatémaltèques. Plus de 4600 de ces enfants étaient âgés de 4 ans ou plus. Moins de 400 avaient moins d'un an. Et pourtant en 2006, plus de 270 bébés guatémaltèques, tous âgés de moins de 12 mois, ont été envoyés aux États-Unis chaque mois. Ces enfants adoptés ne provenaient tout simplement pas des institutions du pays. L'année dernière, 98 pour cent des adoptions du Guatemala vers les États-Unis étaient des "abandons": les bébés qui n'avaient jamais vu l'intérieur d'une institution étaient cédés directement à un avocat privé qui approuvait l'adoption internationale, pour des honoraires considérables, sans révision d'un juge ou d'une agence de service social.

Alors, d'où certains de ces bébés adoptés provenaient-ils? Examinez le cas d'Ana Escobar, une jeune femme guatémaltèque qui, en mars 2007, avait signalé à la police que des hommes armés l'avaient enfermée dans un placard du magasin familial de chaussures pour voler son enfant. Après 14 mois de recherche, Escobar a trouvé sa fille dans un foyer d'accueil pré-adoption, quelques semaines seulement avant que la jeune fille allait être adoptée par un couple de l'Indiana. Les tests d'ADN ont montré que la petite était l'enfant d'Escobar. Dans un cas similaire en 2006, Par Raquel, une autre femme guatémaltèque, a déclaré avoir été droguée alors qu'elle attendait l'autobus dans la ville de Guatemala et s'être réveillée pour constater que son bébé avait disparu. Trois mois plus tard, Par a appris que sa fille a été adoptée par un couple américain.

Le 1er janvier 2008, le Guatemala a fermé ses portes aux adoptions américaines pour que le gouvernement puisse réformer le mauvais processus. La Grande-Bretagne, le Canada, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne ont cessé d'accepter des adoptions de ce pays plusieurs années auparavant, en mentionnant les préoccupations par les trafics. Mais plus que 2 280 adoptions américaines sont encore en cours de traitement, quoiqu'avec des garanties supplémentaires. Les bébés volés ont déjà été trouvés dans cette file d'attente; les autorités guatémaltèques s'attendent à plus.

L'exemple du Guatemala est extrême, il est largement considéré comme ayant la plus célèbre réputation de corruption au monde dans les adoptions étrangères. Mais les mêmes tendances inquiétantes sont apparues, à de petites échelles, dans plus d'une dizaine d'autres pays, y compris l'Albanie, le Cambodge, l'Éthiopie, le Liberia, le Pérou et le Vietnam. Ce schéma suggère que l'offre des bébés adoptables augmente pour répondre à la demande étrangère et disparaît lorsque l'argent des occidentaux n'est plus disponible. Par exemple, en décembre 2001, le service de l'immigration des États-Unis a cessé de traiter les visas d'adoptions du Cambodge, citant des preuves évidentes que les enfants étaient acquis de façon illicite, souvent contre la volonté des parents. Cette année-là, les Occidentaux ont adopté plus de 700 enfants cambodgiens; sur les 400 enfants adoptés par les Américains, plus de la moitié avaient moins de 12 mois. Mais en 2005, une étude sur la population des orphelinats du Cambodge, commandée par la US Agency
for International Development, a trouvé seulement 132 enfants âgés de moins d'un an - moins de bébés que les Occidentaux avaient adopter tous les trois mois, quelques années auparavant.

Même les pays avec de grandes populations, comme l'Inde, ont rarement des nourrissons ou des tout-petits en santé qui ont besoin de parents étrangers. La grande classe moyenne en expansion de l'Inde, dans le pays même et dans la diaspora, font face aux problèmes d’infertilité comme ceux de leurs homologues dans les pays développés. Eux aussi sont à la recherche de bébés en santé à adopter; certains experts pensent que ces millions de familles de classe moyenne pourraient facilement absorber tous les bébés disponibles. La pauvreté généralisée du pays laisse beaucoup d'enfants se débrouiller par eux-mêmes dans les rues. Mais "les enfants ne sont pas seuls dans les rues à l'âge de 2 ans", dit Cantwell, un conseiller de la protection de l'enfance. "Ils ont 5 ou 6 ans, et ils ne vont pas être adoptés." C'est en partie parce que la plupart de ces enfants ont toujours des liens de famille et ne sont donc pas légalement disponibles pour l’adoption, et en partie parce qu'ils auraient de la difficulté à s'adapter dans un foyer de classe moyenne de l'Europe ou de l'Amérique du Nord. Beaucoup de ces enfants sont profondément marqués par la violence, la criminalité et la pauvreté, et peu de parents prospectifs sont prêts à les adopter.

Certainement, alors les parents prospectifs peuvent au moins se sentir en sécurité que leur enfant soit vraiment un orphelin ayant besoin d'un foyer s'ils reçoivent tous les documents juridiques? Malheureusement, non.

LES CRIMES DES GARDERIES

Dans de nombreux pays, ça peut être étonnamment facile de d'inventer l'histoire d'un jeune enfant, et dans le processus, de manufacturer un orphelin. Les mères sont souvent pauvres, jeunes, célibataires, divorcées, ou alors sans soutien familial. Les enfants sont peut-être être nés dans un groupe minoritaire méprisé localement ayant peu de droits. Et pour suffisamment d'argent, quelqu'un séparera ces petits de leurs familles vulnérables, les transformant en "orphelins sur papier" pour de l'exportation lucrative.

Certains orphelins fabriqués sont en effet trouvés dans ce que les Occidentaux appellent "orphelinats". Mais ces établissements servent souvent moins de foyers pour orphelins et servent plus comme des pensionnats pour les jeunes enfants pauvres. Beaucoup d'enfants ne sont là que temporairement, pour la nourriture, le logement et l'éducation pendant que leurs parents, à cause de la pauvreté ou de la maladie, ne peuvent pas s'occuper d'eux. Beaucoup de familles rendent visite à leurs enfants, ou même les emmènent chez eux les weekends, jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux de façon permanente. En 2005, lorsque l’orphelinat Hannah B. Williams à Monrovia, Liberia, a été fermé en raison de conditions de vie choquantes, 89 des 102 "orphelins" sont retournés à leurs familles. Au Vietnam, "les familles rurales, en particulier, placent leurs bébés dans ces orphelinats qui sont en fait des garderies de longue durée pendant la saison de récolte", explique un porte-parole de l'ambassade américaine à Hanoï. Dans certains cas, les directeurs d'orphelinat sans scrupule, les fonctionnaires locaux, ou d'autres opérateurs persuadent les familles analphabètes à signer des documents renonçant à ces enfants, qui sont ensuite envoyés à l'étranger pour l'adoption, pour ne plus jamais être revus par leurs familles désespérées.

D'autres enfants sont placés par des moyens similaires malfaisants. Les agences d'adoption occidentales contractent souvent avec des facilitateurs du pays, parfois des directeurs d'orphelinats, parfois avec des travailleurs indépendants, et paient des frais par tête pour chaque bébé en bonne santé adopté. Ces facilitateurs, en retour, sous-traitent avec des rabatteurs d'enfant, souvent pour des sommes qui excèdent démesurément les salaires locaux. Ces jours de paie donnent aux individus une considérable incitation financière à trouver des bébés adoptables pour presque n'importe quel prix. Au Guatemala, où le PIB par habitant est de 4 700$ par an, des rabatteurs d'enfants ont souvent gagné 6000$ à 8000$ pour chaque enfant adoptable en bonne santé. Dans de nombreux cas, les rabatteurs d'enfants ont simplement payé les familles pauvres pour les nourrissons. Un rapport de mai 2007 sur le trafic d'adoption par la Conférence de La Haye de Droit International Privé signale que les familles pauvres guatémaltèques étaient payées entre 300$ et plusieurs milliers de dollars par enfant.

Parfois, les professionnels de la santé servent de rabatteurs d'enfants pour obtenir les nourrissons. Au Vietnam, par exemple, les frais d'un rabatteur pour un seul enfant peut facilement rendre petit les 50$ de salaire d'un infirmier. Certains infirmiers et médecins contraignent les mères à renoncer à leurs enfants en leur offrant un choix: payer des frais d'hôpital outrageusement gonflés ou abandonner leurs nouveau-nés. Les nouvelles mères analphabètes sont emmenées à signer des documents qu'elles ne savent pas lire. En août 2008, le Département d'État des États-Unis a publié un avertissement signalant que les certificats de naissance délivrés par l'hôpital Tu Du dans la ville de Ho Chi Minh - qui en 2007 avait signalé 200 naissances par jour et une moyenne de trois bébés abandonnés par 100 naissances - étaient "peu fiables". La plupart des bébés "abandonnés" de l'hôpital ont été envoyés à l'orphelinat de la ville Tam Binh, d’où de nombreux occidentaux ont adopté. (L'hôpital Tu Du est l'endroit où le fils vietnamien d'Angelina Jolie aurait été abandonné un mois après sa naissance; il était à Tam Binh quand elle l'a adopté.) Selon Linh Song, directeur exécutif de Ethica, une organisation américaine à but non lucratif consacrée à la promotion d'adoption éthique, l'obstétricien en chef d'un hôpital provincial lui a dit en 2007 "qu'il a donné 10 enfants des minorités ethniques à [un] orphelinat [pour l’adoption] en échange d'un incubateur".

Pour faciliter le processus d'adoption, les officiels des pays d'origine des enfants peuvent avoir reçu des pots-de-vin pour créer de faux documents d'identité. Les fonctionnaires consulaires des pays adoptants acceptent généralement tous les documents qu'ils reçoivent. Mais si une ambassade locale américaine voit une série soumissions inquiétantes, disons une brusque augmentation des nourrissons en bonne santé venant des mêmes quelques orphelinats, ou une seule province envoyant un nombre anormalement élevé de bébés avec des documents similaires suspects, les fonctionnaires pourraient enquêter. Mais généralement, ils ne veulent pas faire obstacle aux adoptions d'enfants réellement nécessiteux ou se trouver en travers du chemin des gens languissent d'avoir un enfant. Toutefois, plusieurs doutent fréquemment que les adoptions qui passent par leurs bureaux soient complètement honnêtes. "Je crois très fortement en l'adoption internationale", dit Katherine Monahan, fonctionnaire du Département d'État des États-Unis qui a supervisé les adoptions des États-Unis à partir du monde entier. "[Mais] je crains qu'il y ait beaucoup d'enfants qui auraient pu rester avec leur famille si nous avions pu les supporter avec même un peu d'assistance économique." Un fonctionnaire des États-Unis m'a dit que lorsqu'on a demandé au personnel de l'ambassade d'un pays qui a envoyé plus 1 000 enfants à l'étranger l'année dernière, pour quels visas pour adoption ils se sentaient mal à l'aise, ils ont répondu: la quasi-totalité d'entre eux.

La plupart des occidentaux impliqués dans les agences d'adoption étrangères – comme les gens d'affaires qui importent des chaussures de sport - peuvent nier de façon plausible leur connaissance des pratiques malhonnêtes et inconvenantes à l'étranger. Ils n'ont pas à le savoir. L'ignorance délibérée a permis Lauryn Galindo, une ancienne danseuse hula des États-Unis, de recueillir plus de 9 millions de dollars en frais d'adoption depuis plusieurs années pour les nourrissons et les petits enfants cambodgiens. Entre 1997 et 2001, les Américains ont adopté 1230 enfants du Cambodge; Galindo a dit qu'elle était impliquée dans 800 de ces adoptions. (Galindo aurait livré l'enfant cambodgien d'Angelina Jolie à son scène de tournage en Afrique.) Mais lors d'une enquête d'une durée de deux ans à partir de 2002, les enquêteurs américains ont allégué que Galindo avait payé les rabatteurs d'enfants cambodgiens pour acheter, frauder, contraindre, ou voler des enfants à leurs familles, et conspirer pour créer de fausses pièces d'identité pour les enfants. Plus tard, Galindo a purgé du temps à la prison fédérale pour des accusations de fraude de visa et de blanchiment d'argent, mais pas pour le trafic d'enfants. "Vous pouvez toujours acheter des bébés dans le monde entier en tant que citoyen des États-Unis ", explique Richard Cross, un haut responsable de U.S. Immigration and Customs Enforcement qui a enquêté sur Galindo. "Ce n'est pas un crime."

BALANCEMENT DU BERCEAU

Acheter un enfant à l'étranger est quelque chose dont la plupart des futurs parents ne veulent pas faire partie. Alors, comment cela peut-il être évité? Comme l'adoption internationale a augmenté au cours de la dernière décennie, l'approche ad hoc de fermer certains pays corrompus et de déplacer les espoirs (et l'argent) des parents à la prochaine destination a échoué. Les agences qui tirent profit de l'adoption semblent volontairement ignorer la manière dont leurs propres paiements et frais causent à la fois les corruptions et les fermetures.

Certains pays qui envoient des enfants à l'outre-mer pour adoptions ont maintenu le processus légal et transparent depuis presque le début et leur modèle est instructif. La Thaïlande, par exemple, possède une autorité centrale du gouvernement qui conseille les mères de naissance et offre à certaines familles un soutien économique et social afin que la pauvreté ne soit jamais une raison de renoncer à un enfant. D'autres pays, tels que le Paraguay et la Roumanie, ont réformé leurs processus après une brusque montée d'adoptions louches dans les années 1990. Mais ces réformes étaient essentiellement pour arrêter les adoptions internationales presque entièrement. En 1994, le Paraguay a envoyé 483 enfants aux États-Unis, l'an dernier, le pays n'en a envoyé aucun.

Pour une solution plus globale, le meilleur espoir serait la convention de La Haye sur l'adoption internationale, un accord international visant à prévenir la traite d'enfants pour adoption. Le 1er avril 2008, les États-Unis ont officiellement conclu l'accord, qui a 75 autres signataires. Dans les états qui envoient des enfants à l'outre-mer et qui font partie de la convention, tels que l'Albanie, la Bulgarie, la Colombie et les Philippines, les réformes compatibles avec La Haye ont inclus une autorité centrale du gouvernement pour superviser le bien-être de l'enfant, les efforts visant à placer les enfants nécessiteux avec des familles élargies et les communautés locales en premier lieu et limiter le nombre d'agences d'adoption étrangère autorisées à travailler dans le pays. Le résultat, selon les experts, a été une forte baisse des achats de bébés, des fraudes, des contraintes, et des enlèvements pour adoption.

Dans les pays adoptants, la convention exige une autorité centrale - dans le cas des États-Unis, le Département d'État - pour surveiller l'adoption internationale. Le Département d'État autorise deux organismes à but non lucratif à certifier des agences d'adoption; si des pratiques louches, des fraudes, des irrégularités financières, ou des liens avec des trafics sont découverts, l'accréditation peut être révoquée. Déjà, les règles semblent avoir un certain effet: plusieurs organismes américains qui ont longtemps été poursuivis par des rumeurs de mauvaises pratiques se sont vu refuser l'accréditation; certains ont fermé leurs portes. Mais aucun traité international n'est parfait, et la Convention de La Haye ne fait pas exception. Beaucoup des pays qui envoient leurs enfants à l'Ouest, y compris l'Éthiopie, la Russie, la Corée du Sud, l'Ukraine et le Vietnam, ont encore à se joindre à l'accord.

Peut-être que la réglementation la plus importante et la plus efficace serait de limiter le montant d'argent qui change de mains. Les frais par enfant pourraient être illégaux. Les paiements pourraient être plafonnés pour ne couvrir que les coûts légitimes tels que les soins médicaux, la nourriture et les vêtements pour les enfants. Et surtout, les frais doivent être maintenus proportionnels à l'économie locale. "Si vous ne contrôlez pas l'argent, vous ne pourrez pas contrôler la corruption", explique Thomas DiFilipo, président du Joint Council on International Children's Services, qui représente plus de 200 organismes d'adoption internationale. "Si nous avons les meilleures lois et la meilleure réglementation, mais nous envoyons toujours 20 000$ n'importe où, vous pouvez contourner n'importe quel système avec assez de comptant."

La réglementation améliorée protégera non seulement les enfants adoptés et leur famille d'origine, mais aussi les consommateurs: les parents remplis d'espoir. Adopter un enfant, comme donner naissance à un enfant, est une expérience émotionnelle; mais elle peut être dévastatrice par l'odieuse réalisation que l'enfant qu'on croyait orphelin ne l'est tout simplement pas. Une Américaine qui a adopté une petite fille du Cambodge en 2002 a pleuré en parlant lors d'une conférence sur l’adoption éthique en octobre 2007 à propos d'une telle découverte. "On m'a dit qu'elle était une orpheline", dit-elle." Un an après son arrivée, lorsqu’elle a appris à parler suffisamment l'anglais, elle m'a parlé de sa maman et de son papa et de ses frères et sœurs."

À moins que nous reconnaissions que derrière le vernis altruiste, l'adoption internationale est devenue une industrie - une industrie souvent très lucrative et parfois corrompue - de nombreuses autres histoires d'adoption, beaucoup d’autres adoptions auront des fins malheureuses. À moins que des agences d'adoption soient tenues responsables de rendre des comptes, plus de jeunes enfants seront enlevés à tort de leurs familles. Et à moins que ceux qui désespèrent devenir parents demandent la réforme, ils continueront - sciemment ou non, à payer pour les fautes. " Credulous Westerners eager to believe that they are saving children are easily fooled into accepting laundered children," (Les Occidentaux crédules désireux de croire qu'ils sont en train de sauver des enfants sont facilement trompés en acceptant les enfants blanchis) écrit David Smolin, un professeur de droit et militant de la réforme de l'adoption internationale. "For there is no fool like the one who wants to be fooled." (Car il n'y a pas de plus fou que celui qui veut se faire berner.

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